La légende : le loup, l’enfant et les deux amants
Il y a des histoires qui ne sont vraies que dans la bouche de nos ancêtres. Ils les racontent aux enfants pour les dissuader dans leur envie d’aventure. L’origine est toujours floue, les dates opaques, voire inexistantes et les protagonistes varient parfois d’un récit à l’autre. Les faits, eux, restent inchangés et deviendront des légendes, des mythes, des contes.
Côté folklore, Lyon n’est pas en reste.
Voici la légende de la louve qui donna son nom au quartier Gorge de Loup. Lors d’un hiver particulièrement rude dans le Lyon du Moyen-Âge (les dates sont floues, on a dit), une louve affamée s’aventure dans la ville par la porte de Vaise en quête de pitance. Dans une rue sombre et étroite, elle croise le chemin d’un jeune enfant qu’elle dévore sans pitié.
Les habitants se lancent à sa poursuite, toutes fourches dehors, pensant avoir affaire à un loup-garou ou à une « bête », deux animaux légendaires qui nourrissent les récits de l’époque, comme le confirmera plus tard la Bête du Lyonnais ou le tueur Gilles Garnier accusé de lycanthropie.
Dans sa fuite, la louve tombe sur deux amants qui se bécotent en secret, et dont l’histoire sera au cœur d’un autre mystère non élucidé (j’y viens plus bas). Se sentant en danger, elle les attaque et reprend sa course, laissant dernière elle les corps enlacés des deux amoureux. Ses poursuivants la rattrapent au bout d’une ruelle aux portes de la vieille ville et l’abattent, non sans soulagement.
Pour prouver sa mort au reste de la population, inquiète de la venue d’une nouvelle bête démoniaque dans leur contrée, on ouvre l’animal et on « gratte » la dépouille pour l’exposer à la vue de tous dans le quartier de la Croix-Rousse. La rue sera rebaptisée rue Grataloup et existe encore aujourd’hui.
Quant à l’endroit où l’animal a été vu, là où elle a réservé un triste sort au jeune habitant, il fut dès lors appelé… Gorge de Loup.
L’histoire entra dans la tradition orale, se racontant de génération en génération, comme un ouï-dire entre légende et secret. Certains diront même que la louve deviendra le dernier loup de l’Histoire ayant pénétré les rues de Lyon.
L’histoire moins légendaire : la famille Loup et les crues de la Saône
La vérité sur l’origine du nom Gorge de Loup est peut-être tout autre et beaucoup moins légendaire Bien que le territoire de Vaise soit occupé depuis la Préhistoire, fait rare à Lyon, le vallon où se situe Gorge de Loup ne montre des traces d’occupation que depuis l’époque romaine. Quartier faubourg avantagé par sa contiguïté avec la ville et la colline de Fourvière, le lieu n’est qu’une succession de terres et de propriétés mitoyennes.
Des cartes anciennes montrent l’existence au niveau de l’actuelle rue Gorge de Loup d’un domaine nommé Gorge de Vacques, signifiant « zone vide ». En effet, sa proximité avec la Saône, souvent en crue, empêche la pérennité des cultures. Le lieu aurait d’ailleurs possédé une fontaine dite pétrifiante (dont le dépôt de calcaire donne un aspect insolite à la roche), ornée d’une statue de Méduse. Par la suite, la propriété fut rachetée par une certaine famille Loup qui donna son nom au domaine. Ni plus, ni moins.
Voici une autre explication plausible sur l’origine du nom Gorge de Loup : le suffixe ou préfixe « lou » signifie en patois « lac ». Sachant que le terrain est fréquemment conquis par les eaux de la Saône, il est possible qu’un plan d’eau ou une source aménagée donna son nom au quartier. Tout simplement.
Et la rue Grataloup à Croix-Rousse ? L’histoire de la dépouille de la louve qui y aurait été exposée semble peu probable. La rue tiendrait son nom de Pierre Grataloup, un chef de bande connu et redouté dans les monts du Lyonnais à la fin du XVIII e siècle. Il aurait possédé des terres à Croix Rousse, là où la rue sera tracée un siècle plus tard.
Côté Gorge de Loup, il n’y a pas de traces prouvant l’existence de la famille Loup, tout comme il y a peu d’écrit sur le passage d’une louve dans le quartier. Parfois, l’explication la plus vraisemblable sur l’origine d’un nom est la plus simple. Seuls nos ancêtres détiennent la vérité, laissant l’opportunité de broder une histoire qui deviendra légende.
Pour l’anecdote, quand j’ai préparé cet article, je confis les résultats de mes recherches sur l’origine du nom Gorge de Loup à quelques personnes de mon entourage. Si je ne mentionnais pas la légende de la louve, tous me répondaient qu’avec un nom pareil, ils auraient préféré une histoire parlant d’un loup s’attaquant aux habitants du quartier. Que dire ? Nous avons un faible pour les récits épiques.
Bonus : qui étaient les deux amants de Gorge de Loup ?
Je vous ai parlé plus haut des deux amants débusqués et tués par la louve dans sa fuite. Leur destin tragique est aussi devenu un mythe, sorte de Roméo et Juliette de Lyon.
En 1408, un tombeau est découvert sur les bords de Saône à l’emplacement actuel du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse situé à Gorge de Loup. Deux noms sont gravés dans la pierre : Amandus et Amanda. Qui étaient-ils ? Amants ? Frère et sœur ? Personne ne le sait et les historiens débattent l’origine du tombeau sans jamais s’accorder.
Dans la légende de la louve de Gorge de Loup, les deux amants qu’elle tua se cachaient dans une ruelle, car certains les disaient frère et sœur… Ce qui semble sûr, c’est que la découverte du tombeau donna son nom à la rue des Deux Amants, quelques enjambées plus haut.
En 1707, le tombeau est détruit en faveur de l’agrandissement du chemin de halage, emportant avec lui le secret de ses occupants. Personne ne sut qui était Amandus et Amanda, ni s’ils avaient bel et bien croisé le chemin de la louve.
Voilà, vous connaissez désormais plusieurs explications sur le nom énigmatique du
quartier Gorge de Loup. Laquelle pensez-vous être la bonne ?
3 commentaires
“Je confis les résultats” ?… En les mélangeant à du sucre et en les mettant en bocaux ?
Oui exactement ! C’est ma recette contre l’aigreur. Si ça te dit d’essayer 😉
Et le concept d’amélioration continue ? Plutôt que de troller son public.