(Tableau de Nicolas Sicard, peint en 1879, visible au Musée des Beaux-Arts de Lyon)
La bousculade du pont de la Guillotière
Vous avez peut-être déjà entendu parler de la bousculade du pont de la Guillotière, parfois appelée « le tumulte du pont du Rhosne », qui a fait 241 victimes (oui, vous avezbien lu).
Pour en connaître l’origine, je vais vous raconter ce qu’il s’est passé le soir du 11 octobre 1711. À cette époque, le pont de la Guillotière, appelé pont du Rhône, était le seul moyen de traverser le fleuve à pied. Comme aujourd’hui, il reliait la Guillotière, qui était alors un bourg indépendant de Lyon, jusqu’à Bellecour, à l’exception près qu’il fermait la nuit. Une barrière empêchait son accès dans les 2 sens du côté de Bellecour, à la rue de Barre, d’où son nom.
Ce soir-là, le flux de circulation est particulièrement dense sur le pont : c’est le premier jour de la vogue de Saint Denis à Bron et les Lyonnais en reviennent à pied, en charrette ou en voiture à cheval.
Les joyeux lurons, pour ne pas dire les bourrés, pressent le pas sur le pont avant qu’il ne ferme. Partant de Bellecour, Madame Servient, dite dame Catherine de Mazenod de son nom de jeune fille, se rend sur ses terres sur la rive gauche.
Pris dans la foule, son carrosse s’accroche à un autre, son cheval s’emballe et la voiture se renverse en plein milieu du pont. Ce dernier étant bien plus étroit que celui que l’on connaît aujourd’hui, l’obstacle agit comme un goulot d’étranglement et entraîne la
catastrophe. La foule pressée écrase les premiers contre le carrosse et le mouvement de
panique se transforme en immense bousculade, faisant tomber certains Lyonnais dans le
Rhône.
Au total, ce qui sera baptisé plus tard « la bousculade du pont de la Guillotière » fit 216
morts écrasés et 25 noyés.
Pour l’anecdote, Madame Servient, auteure involontaire de cette tragédie, fut tellement marquée par l’événement qu’elle légua des années plus tard une grande partie de ses terres situées de l’autre côté de la rive. Sa volonté était d’en attribuer la gestion aux Hospices civils de Lyon au profit des plus pauvres car, probablement rongée par quelques remords, elle voyait dans son geste sa « part de Dieu ».
Ça vous dit quelque chose ?
L’ancienne Brasserie de l’Étoile, lieu de Résistance
Sur la place Antonin Jutard, dite fosse aux ours, le Ninkasi Guillotière accueille les amateurs de bières sur sa belle terrasse très prisée l’été. Avant que le célèbre bar à bières y pose ses valises, c’est la Brasserie de l’Étoile qui s’y tenait, d’où parfois le surnom de « Ninkasi Étoile » pour l’établissement actuel.
Un surnom qui n’est pas anodin, car cette « Étoile » est entrée dans l’Histoire. En 1941, la brasserie de l’Étoile existait déjà bel et bien, se dressant fièrement face au Rhône. C’est un certain Antoine Jutard qui en est le propriétaire. Alors que la Seconde Guerre Mondiale paralyse la France et que Lyon est sous le joug de l’Occupation allemande, Jutard accueille quelques amis entres les murs de sa brasserie. Parmi ces amis, un certain Louis Pradel, futur maire de Lyon.
Ils deviendront le premier groupe de résistants lyonnais en fondant un mouvement clé de la Résistance dans le Rhône, Le Coq enchaîné. Les réunions continueront de se tenir sous « L’Étoile » jusqu’à l’assassinat de son hôte en 1943 par la milice.
Antoine Jutard laissera derrière lui une plaque commémorative dans son ancienne brasserie, rappelant le lieu de résistance qu’elle a été, une place rebaptisée en son nom, ainsi que les clés de son établissement, volontiers repris par le Ninkasi en 2013.
Les crues dévastatrices de la Guillotière
Avant de connaître l’aménagement de ses berges, le Rhône sortait régulièrement de son lit et était à l’origine de nombreuses crues dévastatrices.
Alors, ce n’est pas une histoire mais une suite d’histoires que je m’apprête à vous raconter. Avant d’être rattaché à Lyon en 1852, la Guillotière est un village, qui plus est le plus ancien de la rive gauche du Rhône. Ses habitants ont l’habitude de vivre au rythme du fleuve, souvent capricieux, et donc soumis à ses aléas.
Malgré la mise en place de digues, les inondations étaient récurrentes jusqu’au milieu du XIXe siècle où la construction d’aménagements plus urbains permettent la domestication du fleuve.
Les crues endommageaient régulièrement le pont de la Guillotière, alors en bois, le détruisant partiellement, comme ce fut le cas en 1476. Au début du XVIe siècle, de violentes inondations emportent ses arches ainsi qu’une partie du bourg. En 1570, une nouvelle crue détruit le pont presque entièrement, mettant à mal les activités et les déplacements des habitants de la Guillotière, le pont étant le seul axe leur permettant de rejoindre Lyon.
En 1812, le Rhône sort de son lit et provoque de nombreux dégâts dans le quartier. Au n°22 de la Grande rue de la Guillotière, vous pouvez voir une plaque commémorative indiquant le niveau de l’eau. Après la décrue, un « lac » reste quelque temps du côté de la Part-Dieu. L’anecdote donnera son nom à la rue du Lac.
En 1840 et 1856, la ville de Lyon est victime de deux crues historiques et subit d’importants dégâts. La Guillotière n’est pas épargnée. Celle du 31 mai 1856 y fait 18 morts.
Ces deux terribles inondations incitent enfin à la construction d’une digue insubmersible sur la rive gauche. Les quais sont également surélevés pour mieux protéger la Guillotière des eaux du Rhône, avant de connaître les aménagements d’aujourd’hui.
Depuis, le quartier n’est plus perturbé par des crues dévastatrices. Il en reste des récits historiques, des gravures ou quelques photos précoces pour l’époque. L’impressionnante inondation de 1856 a d’ailleurs été illustrée dans un tableau de Jean Scohy, peintre natif de la Guillotière, montrant des paroissiens se déplaçant en barque dans la rue de la
Madeleine pour se rendre à l’office.
Qui l’eu cru ? (OK je sors)
Bonus : le crocodile du Rhône jusqu’au pont de la Guillotière
Pour clôturer cet article, ce n’est pas vraiment une histoire mais plutôt une légende que je vous livre en bonus.
Elle raconte qu’en 1745 un crocodile affamé a remonté le Rhône jusqu’au pont de la Guillotière, décidément maudit. D’où venait-il ? Comment avait-il atterri là ? Personne ne le sait. Il avait simplement décidé d’élire domicile entre les arcades du pont, tout près du village de la Guillotière.
La présence de l’animal inquiéta la population, si bien qu’on interdit la navigation sur
cette portion du Rhône. La municipalité désigne alors 2 condamnés à mort pour tuer la
bête en échange de leur grâce.
Lorsque le jour de l’affrontement arriva, les habitants de la Guillotière s’empressèrent d’assister à cette scène peu banale. Les deux hommes, armés de lances, descendirent sur la rive gauche et attendirent la créature. Le combat s’est soldé par un échec… pour l’animal. Certains diront que le crocodile fut transpercé par une lance tandis que d’autres raconteront qu’il fut étranglé par l’un des hommes, ajoutant un soupçon d’héroïsme à l’affaire.
En guise de preuve, le crocodile sera exposé dans l’Hôtel-Dieu, suspendu sous le grand dôme, jusqu’en 2010, où il rejoint la collection privée du musée des Hospices civils de Lyon.
Peut-être que certains d’entre vous ont eu l’occasion de voir ce crocodile légendaire ?
Voilà, vous connaissez désormais 3 histoires insolites (et une légende) qui se sont passées à la Guillotière. Laquelle avez-vous préférée ?
11 commentaires
Pour prolonger ton génial billet, Lara. Je ne saurai que conseiller la lecture :
– “Le tumulte du pont de Rosne” du mensuel BD, les rues de Lyon qui conte la tragédie du pont de la Guill’ http://www.calameo.com/read/00448060788459bf11e24?authid=HH0jiFzaWgR0 (bon le pdf c’est bien mais vous pouvez le trouver en BM aussi)
– Sinon la légende du crocodile et des crus du Rhône rejoignent à mes yeux celle du Machecroute (personnage de carnaval pour exorciser les crues dévastatrices du Rhône) et Lyon Capitale avait sorti un recueil dessiné intitulé “Les légendes de Lyon” où le MacheCroute est évoqué sous le nom de “Dragon du Rhône”.
Et sinon en vidéo, vous pouvez aussi aller sur la chaîne YT lyonnaise “Le Journal de l’Histoire” où l’équipe évoque la Part de Dieu https://www.youtube.com/watch?v=ZJQV9qFcmGI&t=1s
Autre vidéo chez eux où ils nous content la disparition du pont de la Guillotière, premier du nom https://www.youtube.com/watch?v=EtSDUmCp_YY
Génial ce genre d’articles encore !
Merci du commentaire et des super ressources !
Des infos intéressantes malgré beaucoup d’approximations mais SVP, Antonin Jutard et pas Antoine
Super article ! La rue de la Barre, trop drôle. L’ancêtre du pass’vaccinal ?
Je suis une “vieille” lyonnaise, inconditionnelle (!), je vous remercie pour la publication de ces anecdotes lyonnaises qui racontent notre ville pleine d’ “Histoire” et d’histoires ! J’avais vu le crocodile car j’appartenais à l’association ABH hébergée à l’Hôtel-Dieu mais je ne connaissais pas son histoire. Merci beaucoup..
Colette Marchand
génial cet article ! merci 🙂
Super article ! On les connaissait grâce au Musée Gadagne de l’Histoire de Lyon. Si le sujet t’intéresse, je te conseille un livre plus que complet avec plein, plein d’anecdotes : “Secrets des Rues de Lyon” aux éditions du Poutan.
Merci ! Ça m’intéresse, en effet 🙂
Catherine Mazenod ou Mme de Servient avait bel et bien légué ses terres de la Part-Dieu mais 14 ans avant l’accident du Pont du Rhône et probablement pour faire en sorte que la famille de son mari avec qui elle s’entendait très mal n’hérite de rien du tout de sa part. Le « don » de 1711, c’était plus une vente qu’un don au vu des termes de l’acte (6000 livres de pension viagère annuelle, 43 000 livres données à ses héritiers après sa mort et son enterrement aux frais de l’Hotel Dieu, etc…)
Quant au nom de la Part-Dieu, il est bien antérieur à cet accident et dès le Moyen-Age, des textes évoquent le domaine de la « Par Deu ».
Merci pour toutes ces infos, je note.
Comme souvent, il y a parfois plusieurs histoires derrière un nom de quartier ou de rue…
C’est d’ailleurs le sujet d’un prochain article 😉
Merci pour le bon moment que je viens de passer à la lecture de cet article, et la rue de la Barre …? où j’ai travaillé il y a…. quelques années, j’ai 72 ans…