À la fin de votre lecture, vous en saurez plus sur Monplaisir que n’importe quel habitant du quartier.
Un nom commercial pour attirer les acheteurs
Lyon possède quelques noms de quartier énigmatiques, à l’instar de Gorge de Loup ou de Croix Rousse, généralement expliqués par des faits historiques. Quels sont ceux de Monplaisir alors ? Que celui qui n’a jamais pensé à un récit de polissons à l’origine du nom me jette la première pierre. Voyons plutôt l’histoire officielle…
En 1827, Monplaisir n’était qu’une succession de grandes propriétés rattachées au village de la Guillotière. Le baron Henri des Tournelles, voyant la ville s’étendre vers l’est, découpe son immense domaine en petites parcelles qu’il met à la vente. Une décision en accord avec le maire Henri Vitton, désireux d’urbaniser ce territoire en construisant un lotissement de maisons aux tarifs abordables pour les Lyonnais. Pour faire accepter l’éloignement de la ville, on évoque déjà les nuisances sonores, l’air irrespirable et l’augmentation du prix des logements à Lyon (ou comment l’histoire se répète aujourd’hui).
Pour attirer les acheteurs, le nom de Monplaisir est trouvé tout comme celui de la « campagne Sans Souci », promettant douceur de vivre et air pur dans ce nouveau quartier-village. Depuis, le nom est resté.
Bref, à en croire l’histoire, Monplaisir ne serait finalement qu’un nom marketing. Vraiment
?
Un quartier coquin
D’autres sources évoquent une origine plus coquine du nom (la voilà votre histoire polissonne !). Territoire de passage dû à sa position géographique entre Lyon et le Dauphiné, le quartier comporte de nombreuses auberges destinées aux marchands et voyageurs. À l’époque, qui dit auberge, dit… filles de joie.
L’histoire serait donc peut-être la même qu’à Guillotière, alors simple faubourg, où les multiples hôtels accueillaient les gens de passage, mais aussi les Lyonnais venus profiter des plaisirs de la chair à un prix plus avantageux qu’à la ville. On laissait ainsi ses problèmes du quotidien à « Sans soucis » pour venir s’encanailler à Monplaisir. L’anecdote en serait presque poétique.
Mais la question se pose : a-t-elle donné son nom au quartier ou bien Monplaisir était un nom prédestiné ?
Monplaisir n’était pas dans le 8e arrondissement
Saviez-vous qu’il y a encore 65 ans, le 8 e arrondissement de Lyon n’existait pas ? Je l’ai moi-même appris lors de mes recherches pour la rédaction de cet article. Mais alors, dans quel arrondissement se trouvait Monplaisir avant ? Ou plutôt dans quelS arrondissementS
?
Comme mentionné plus haut, Monplaisir était initialement rattaché à la commune de la Guillotière, encore indépendante. Traversé par la route d’Italie (aujourd’hui l’avenue des Frères Lumière) reliant Lyon à Grenoble, le quartier appartenait davantage au Dauphiné qu’à la capitale des Gaules. D’ailleurs, dans les années 1830, il est symboliquement séparé de la Guillotière par des fortifications.
En 1852, les cinq premiers arrondissements de Lyon sont créés. Le 3 e englobait alors les actuels 6 e , 7 e et 8 e arrondissements. La commune de la Guillotière y est rattachée et, par extension, le village de Monplaisir. À cette date, celui-ci fait donc officiellement partie de Lyon.
Le 3 e arrondissement, à l’époque très vaste, sera par la suite subdivisé. D’abord au nord en 1867, donnant naissance au 6 e , puis au sud en 1912, formant le 7 e arrondissement. C’est dans ce dernier que sera rattaché Monplaisir pendant 4 décennies. Dernier volet de cette chaise musicale des arrondissements, le 7 e est divisé à l’est en 1959, devenant l’actuel 8 e arrondissement de Lyon.
En résumé, d’abord indépendant, Monplaisir aura ensuite été successivement dans le 3e , dans le 7e , puis enfin dans le 8e arrondissement de Lyon où il a pris ses aises depuis.
La villa Lumière jumelle
Si les touristes piétinent surtout les rues de la Presqu’île et du Vieux Lyon, ils se déplacent volontiers à Monplaisir pour revivre l’histoire des frères Lumière et visiter leur emblématique villa. Leur père Antoine, entrepreneur fortuné à la folie des grandeurs, entame sa construction en 1899 pour y devenir la demeure familiale, tout à côté de ses usines. L’anecdote est connue de tous les Lyonnais.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’il existait une deuxième villa. À l’architecture identique, elle se situait non loin, sur le cours Albert Thomas aux abords des usines Lumière, et accueillait les fils et leurs familles. Un majestueux escalier central séparait la maison en deux ailes : les appartements de Louis d’un côté et ceux d’Auguste de l’autre. Une grande terrasse en belvédère surplombait la rue et permettait de contempler la colline de Fourvière.
Durant d’après-guerre, alors que l’activité économique et l’urbanisation du quartier est en pleine mutation, la villa Lumière jumelle connaît un triste sort. À la faveur de la construction d’un immeuble, elle est détruite par le promoteur immobilier Napoléon Bullukian.
On dit que pour compenser ce sacrilège, il aurait financé la réalisation du monument hommage aux frères Lumière qui trône sur la place Ambroise Courtois. Inauguré en 1962, il sert encore aujourd’hui d’écran de cinéma pour des projections plein air durant l’été.
Très sympa certes, mais un peu moins emblématique qu’une villa Lumière…
Ces inventions légendaires nées à Monplaisir
Tout le monde le sait, Monplaisir est le quartier qui a vu naître le cinéma. Le cinématographe a été créé dans les usines Lumière et les rues du quartier ont été les premiers décors de cinéma au monde. Pourtant d’autres inventions devenues légendaires ont vu le jour à Monplaisir, dont certaines sont attribuées à la famille Lumière, mais pas seulement…
Avant son essor, Monplaisir est un quartier résidentiel où se développent essentiellement des activités artisanales. En 1882, Antoine Lumière y installe son petit atelier rue Saint Victor, l’actuelle rue du Premier Film. Il y commerciale les plaques photographiques inventées par son fils Louis, alors âgé de 17 ans, qui feront la fortune de la famille. La suite de l’histoire, vous la connaissez sûrement. Pourtant, les fils Lumière n’étaient pas destinés à reprendre les affaires de leur père.
Au début, Auguste se passionne pour la médecine et Louis pour la physique-chimie. C’est aussi dans ces domaines que les deux frères prolifiques se sont illustrés. En dehors du célèbre cinématographe, ils sont à l’origine de nombreuses inventions, dont voici un aperçu : l’autochrome, procédé de photographie couleur, un carburateur pour moteur à
essence, un chauffage à gaz sans flamme, un chevalet pour violons et violoncelles, un fer à friser, un tableau publicitaire à vue changeante (l’ancêtre des panneaux publicitaires défilants), un tulle gras pour soigner les plaies et les brûlures, toujours utilisé aujourd’hui, ou encore une prothèse de la main innovante au sortir de la Première Guerre mondiale… Bref, la fratrie Lumière n’a pas chômé ! Au total, ils ont déposé à eux deux près de 200 brevets.
Mais bien que la prospérité de la famille ait donné une impulsion au quartier, ce ne sont pas les seuls à avoir contribué à l’essor économique et industrielle de Monplaisir. Un certain Adolphe Lafont installe en 1844 son usine de vêtements sur l’actuelle avenue des Frères Lumière. Il est célèbre pour avoir inventé une tenue spéciale à destination des charpentiers ; l’ancêtre de la salopette. Adolphe poursuivra la confection de vêtements professionnels qui deviendront incontournables en France. D’ailleurs, la marque Lafont est toujours une référence dans ce domaine. Une ruelle du 8 e arrondissement porte aujourd’hui son nom.
En 1902, Marius Berliet, le constructeur automobile célèbre pour ses camions, y implante ses usines sur 5 000 m 2 et emploie 250 personnes. Face au succès de la marque, il
agrandira ses ateliers quelques années plus tard.
Début du XX e siècle, Léo Trouilhet, ingénieur, installe ses usines sur l’actuelle rue Antoine Lumière. Son nom ne vous dit peut-être rien, pourtant vous utilisez sûrement son invention et connaissez la marque qu’il a fondée. En effet, il est le père du fer à repasser et de l’entreprise Calor, aujourd’hui filiale du groupe SEB. Au début, il emploie parfois des travailleurs à domicile pour monter les différentes pièces de ses appareils électroménagers (les prémices du télétravail !). Face au succès de la marque, l’usine s’agrandira jusqu’aux abords de la place Ambroise Courtois et emploiera plus de 1 000 ouvriers, essentiellement des femmes.
Finalement, quand on creuse l’histoire de Monplaisir, on se rend compte que l’invention du
cinéma n’était qu’une partie de l’identité du quartier : un berceau de l’entrepreneuriat et de
l’innovation.
Voilà, vous êtes désormais incollables sur l’histoire du quartier Monplaisir. Quelles sont les anecdotes que vous connaissiez déjà ?
6 commentaires
Article très intéressant !
Des photos de 1910 et 2022 Avant/Après sont visibles à cette adresse : https://jordaneangot.fr/archives-de-lyon/
Top, merci pour ce partage !
Vraiment très intéressant ces articles sur l’histoire de la ville de Lyon, parfait pour briller en soirée en plus !
Ahah, merci, c’est l’un des objectifs ; “Savais-tu que…?” 😀
Article vraiment très intéressant sur le quartier Monplaisir / Sans souci.
Merci aussi pour le lien avec les photos de Lyon en 1910 et de nos jours. J’adore voir comment les quartiers ont évolué.
Il y a toujours un magasin d’usine du Groupe Seb à proximité de la place Ambroise Croizat. On peut y faire quelques affaires.