Cette Semaine, ce sont les lecteurs de CityCrunch qui prennent les commandes du magazine !
Aujourd’hui, Lise vous raconte sa vie à Lyon avec sa canne blanche.
Vous saviez que Lyon avait obtenu Le 1ᵉʳ Prix européen de l’Accessibilité en 2018 ? Non ? Eh bien maintenant, vous pourrez utiliser cette info pour briller en soirée. Même s’il reste toujours beaucoup à faire, Lyon est malgré tout une ville où il fait plutôt bon vivre quand on se coltine un handicap, et en particulier un handicap visuel. Oui, j’ai la particularité de voir à peu près aussi bien qu’une chauve-souris. Ça ne m’empêche pas d’être une fidèle lectrice de Lyon CityCrunch depuis des temps immémoriaux. Moi aussi, j’adore me régaler les papilles, vivre de chouettes expériences et découvrir des bons plans en tout genre, surtout que je n’ai aucune chance de les découvrir par hasard en voyant une affiche dans la rue.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, je réponds tout de suite à une question qui, je le sens, vous brûle déjà les lèvres : mais comment elle peut lire les articles de ce génial webzine alors qu’elle ne voit pas ? Grâce à la merveilleuse technologie de la synthèse vocale, une douce voix qui me chuchote à l’oreille tout ce qui figure sur l’écran de mon ordinateur ou de mon téléphone. A condition que le site web soit conçu dans le respect des règles d’accessibilité et je dois dire que LCC est tout à fait honorable de ce côté-là.
Maintenant, parlons si vous voulez bien de toutes ces petites choses qui se cachent dans la ville de Lyon et qui me rendent service quotidiennement sans que vous le sachiez. Et si vous restez jusqu’à la fin, vous saurez même comment vous pouvez vous rendre utiles quand vous croiserez une personne armée d’une canne blanche ou affublée d’un compagnon à quatre pattes, un chien guide bien sûr, pas un mouton ni un rhinocéros.
Mais à quoi servent ces petites bulles devant les passages piétons ?
Vous les avez certainement déjà remarquées, ces petites pustules qu’on trouve devant les passages piétons, mais aussi sur les quais du métro et parfois devant les escaliers. On les appelle les bandes « podotactiles », ou plus précisément « bandes d’éveil de vigilance ». « Podotactile », ça veut dire qu’on peut les détecter au toucher avec les pieds au travers des semelles de chaussure. J’imagine que vous n’y faîtes pas spécialement attention sauf si vous avez déjà eu la malchance de glisser sur l’une d’entre elles par temps de pluie. Pour moi, une bande podotactile, c’est un peu comme un radeau dans l’océan.
Je vous explique : ma canne blanche, c’est en quelque sorte le prolongement de ma main. Quand je marche sur un trottoir, je me sens en sécurité tant que je suis en mesure de détecter la bordure qui me sépare de la chaussée. Mais quand la bordure disparaît, pas moyen de savoir si je suis sur une zone piétonne ou si je risque à tout moment de me faire renverser par une voiture ou autre véhicule. Or, dans pas mal d’endroits, et en particulier au niveau des carrefours, les bordures de trottoirs ont été supprimées. C’est chouette pour tous ceux qui se déplacent en fauteuil roulant, avec une poussette ou tout simplement une lourde valise à roulettes. Mais c’est super insécurisant quand on ne voit pas. Voilà donc tout l’intérêt des bandes podotactiles devant les passages piétons. Au moins, quand on sent la bande, on sait qu’il faut s’arrêter et analyser ce qui se passe autour avec nos sens valides.
Sur les quais de métro, c’est la même chose. On sait qu’on peut attendre en sécurité en restant à l’extérieur de la bande podotactile et d’ailleurs, c’est ce que font la plupart des gens, qu’ils voient bien ou pas.
Ding-dong, ding-dong… c’est Pâques aujourd’hui ?
Vous avez peut-être déjà entendu cette mystérieuse cloche alors que vous vous baladiez dans la rue. Vous vous êtes même peut-être un jour arrêtés en plain passage piéton, brusquement alertés par un « rouge piéton » tonitruant prononcé derrière vous. Eh oui, dans la Métropole de Lyon, 100% des feux piétons sont sonores. Vous avez du mal à y croire ? C’est vrai qu’on ne les entend pas souvent, tout simplement parce qu’ils ne parlent que sur demande. Seules les personnes déficientes visuelles ont le pouvoir de les faire parler grâce à une télécommande dédiée qui nous est remise dans toutes les mairies d’arrondissements de Lyon ou des communes de la Métropole.
Et je vous donne un scoop : le premier feu sonore est né à Lyon ! Enfin presque… Vous excuserez cet accès de chauvinisme passager, qui, je crois, est de bon ton sur CityCrunch. Si on se rencontre un jour, j’aurai plaisir à vous raconter la véritable histoire du premier feu sonore et même du premier feu de signalisation. En tout cas, ce qui est vrai, c’est que le premier feu sonore activable par télécommande radio, qui est le système aujourd’hui normalisé pour la France entière, a été installé tout près de Lyon, au carrefour entre l’avenue Henri Barbusse et la rue Anatole-France à Villeurbanne. C’était en 1993 et la société qui en est à l’origine est lyonnaise. Elle s’appelle Okeenea et s’est maintenant expatriée dans la lointaine banlieue à Champagne-au-Mont-d’Or pour gagner un peu d’espace. Pour être parfaitement transparente, c’est la société qui m’emploie depuis 14 ans comme experte en accessibilité, autant vous dire que je la connais bien.
Ne soyez pas surpris, les murs parlent aussi
Je vous préviens, si un jour, en descendant les escaliers du métro, vous entendez subitement le jingle TCL à tue-tête suivi du nom de la station, ce n’est pas une hallucination. Il est fort probable qu’une personne déficiente visuelle soit justement en train de chercher l’entrée de cette station. Sur le même principe que les feux sonores activables à la demande, il existe des balises sonores qui se déclenchent avec la même télécommande. Ces balises servent à repérer des points d’intérêt comme l’entrée d’un bâtiment ou un service à l’intérieur : accueil, billetterie, etc. Depuis 2021, le SYTRAL a équipé de balises sonores toutes les entrées des 42 stations de métro du réseau TCL. Et je vous assure que, quand on a l’habitude de tourner dix minutes sur la place Bellecour avant de trouver l’entrée du métro, on apprécie grandement d’être guidé directement grâce à l’appel de la balise. Cet équipement, on le doit beaucoup à l’expertise et à la persévérance de l’association Point de Vue sur la Ville, une association lyonnaise très active depuis 15 ans pour défendre l’accessibilité aux personnes déficientes visuelles, qui s’est beaucoup battu pour.
Et qu’est-ce qu’on fait quand on voit une personne aveugle qui galère ?
- Réponse A – Un signe de croix
- Réponse B – Un croche-patte
- Réponse C – On prend ses distances car un coup de canne est vite arrivé
- Réponse D – On lui dit bonjour et on lui demande si elle a besoin d’aide.
Et la bonne réponse est… la réponse D bien sûr. C’est une question qu’on me pose assez souvent : « quand je vois une personne aveugle, je ne sais pas comment aider, j’ai peur de mal faire… » Il est certain que vous ne croisez pas tous les jours des personnes aveugles et que vous avez probablement encore moins d’occasions d’en côtoyer dans votre vie pro ou perso. Nous restons une toute petite minorité et c’est sans doute mieux comme ça. Par contre, Je peux vous assurer que nous sommes des êtres humains avec des capacités de communication verbale tout à fait dans la moyenne. Le meilleur moyen de s’adresser à nous est donc d’employer la parole et un simple « bonjour » fonctionne très bien. OK, il peut arriver qu’on soit concentrés sur quelque chose et qu’on ne vous entende pas. Il peut aussi arriver qu’on ait entendu mais qu’on ne sache pas, en l’absence de contact visuel, si ce chaleureux bonjour s’adresse à nous. N’hésitez pas à ce moment-là à vous rapprocher et insister. Vous pouvez ensuite engager la conversation naturellement en proposant votre aide. Alors, c’est votre interlocuteur qui vous expliquera la meilleure manière de l’aider. L’erreur fatale serait de présumer de ce dont il a besoin. J’en connais qui se sont retrouvés là où ils n’avaient aucunement la volonté d’aller parce que des personnes « bien intentionnées » ont décrété que c’était mieux pour eux.
Juste un mot sur la manière dont on guide une personne aveugle : la position du guide, c’est devant, surtout pas derrière. Quand on ne voit pas, c’est assez désagréable de se retrouver poussé en avant sans savoir s’il y a un obstacle. Alors, vous précédez la personne aveugle qui vous met la main sur le coude ou l’épaule selon sa préférence.
J’en profite pour tordre ici une idée reçue : les personnes qui ont fait le choix d’être accompagnées d’un chien guide d’aveugle peuvent aussi avoir besoin d’aide. Ces chiens sont géniaux, ils évitent les obstacles, ils signalent les escaliers, les passages piétons, les portes des endroits où ils ont l’habitude d’aller, mais ils ne savent pas lire les panneaux. Alors sur un itinéraire dont ils n’ont pas l’habitude, ils ne savent pas où emmener leur maître si lui-même a des difficultés à s’orienter.
J’espère que vous ne verrez maintenant plus notre chère ville de Lyon tout à fait de la même façon. Je vous laisse, mais si vous vous posez encore plein de questions, vous pouvez me retrouver dans mon podcast « Série noire pour une canne blanche » disponible sur votre plateforme préférée. J’y raconte mes petites aventures, vous n’imaginez pas à quel point l’endroit le plus anodin peut se transformer en un véritable escape game quand on doit se débrouiller sans la vue. Frisson garanti sans débourser un centime !
2 commentaires
Bonjour,
Merci beaucoup d’avoir partagé votre expérience, votre bonne humeur et vos conseils !
…..
Je ne sais pas trop quoi dire. Je n’ai jamais entendu un tel témoignage !
Il est touchant de vérité, très explicite, et avec une pincée d’humour. Ca donne envie de le partager.
Bravo aussi à LCC d’offrir à Lise une tribune de son quotidien.
Et merci pour les conseils qui me rendront moins maladroit et donc moins indifférent aux cannes blanches.