
Cela fait un petit moment que chaque matin j’attrape un Vélo’v à Guillotière (où j’habite) pour filer sur la Voie Lyonnaise 1 et remonter jusqu’au 6e arrondissement (où je travaille). C’est mon petit moment urbain à moi : rapide, économique, et surtout dehors. C’est selon moi le moyen le plus agréable pour traverser la ville. Parce que entre être serré dans le métro ou coincé dans une voiture à voir défiler ma vie à 2km/heure, je préfère mille fois pédaler sous la pluie, la tête dans les embruns rhodaniens.
Pendant longtemps, mon fidèle compagnon était le Vélo’v rouge : solide, simple, honnête. Je pédalais, je transpirais sans excès (le genre d’effort qui te donne bonne conscience sans te donner besoin d’une douche à l’arriver).
J’aimais cette impression de « je fais du sport, mais pas trop quand même ».
Et puis, un matin… ils sont apparus.
Les Vélo’v verts.
Les électriques.
Les sournois.
Au début, j’ai fait comme tout le monde : j’ai levé les yeux au ciel, l’air de dire « non mais sérieux, on n’a vraiment plus aucun goût de l’effort dans cette ville ».
Puis j’ai continué ma journée.
Mais ils étaient là, partout, comme une tentation verte qui te chuchote : « Allez… enfourche-moi. »
Le premier essai ? Purement professionnel. C’était pour comprendre la nouvelle offre. Pour être informé. Pour faire un vrai retour d’expérience.
À aucun moment je n’ai voulu y prendre goût.
Enfin ça… c’est ce que je me racontais.
Parce qu’une fois assis dessus… ça a été fini. Trois coups de pédale et BIM : propulsion divine, souffle stable, vitesse insolente.
Je suis devenu, l’espace de quelques minutes, une version améliorée de moi-même. Un moi rapide, efficace et qui arrive à l’heure.
Et depuis, chaque matin, le dilemme : le rouge ou le vert ? L’effort ou la flemme ? La sueur ou le sourire béat ?
Mais voilà. Il faut que je le dise. Je sens que je perds du terrain. On SENT TOUS qu’on perd du terrain.
On se donne bonne conscience : « aujourd’hui je prends le rouge ! »
Puis il pleut. Ou je suis à la bourre. Ou je vis dans une société moderne où la fatigue commence dès que le réveil sonne et où la technologie veut notre bien.
Et le vert est là, brillant, disponible, un peu moqueur.
Alors j’y cède.
Encore.
Et encore.
Et vous sauvez quoi ? Je commence à voir moins de rouges dans les stations.
Je vois les gens foncer en électrique avec cette nonchalance coupable.
Je vois bien ce qui se passe : on a choisi le camp de la flemme.
Pas juste moi.
Pas juste toi.
Tout le monde.
Les Vélo’v rouges vont devenir une espèce en voie de disparition.
On va bientôt les mettre dans un musée : « Voici le vélo ancestral que les Lyonnais utilisaient autrefois, quand ils croyaient encore au pouvoir de leurs mollets. »
Et je dois l’avouer, ça me fout un petit coup. J’aime ce moment d’effort, cette petite victoire du matin, cette sensation de « c’est moi qui avance, pas une batterie au lithium. »
Aujourd’hui, je contente de forcer mollement sur un pédalier pour avancer à vive allure.
Alors oui, je roule plus vite.
Oui, je transpire moins.
Oui, j’arrive au bureau frais comme un bouton de rose.
Mais je sais.
Je sais que j’ai perdu le combat.
On l’a tous perdu.
On est passés du côté doux, confortable, rapide…
Le côté vert.
Et même si je roule dessus tous les jours… Même si je suis conquis… Je suis un peu dégoûté.
Parce qu’au fond, j’aimais bien, moi, pédaler pour de vrai.
1 commentaire
Ahhh les vélov verts sont super, mais pour monter à la Croix-Rousse ou à Fourvière… sinon, je reste fidèle au vélov rouge … qui je trouve se fait bien trop rare dans certaines stations !!